Sassi, ou comment concilier héritage culturel et liberté
Sassi, 47 ans, habite rue Martin Luther King depuis 4 ans et Bondy depuis 10 ans.
Sassi est Sri lankais Tamoul (Indouiste). Il a fui son pays en guerre il y a près de 30 ans (le Sri Lanka est divisé en deux communautés : les Tamouls (qui sont généralement de confession indouiste et parfois catholique) et les Cinghalais (qui sont de confession bouddhiste ou musulmane).
Il est arrivé en France à l’âge de 18 ans, et a eu le statut de réfugié politique. Il avait déjà un oncle en France, qui l’a accueilli chez lui les premiers temps et lui a trouvé un travail. Sassi a dû apprendre le français. Il a été cuisinier et aide ménager.
Sassi a rencontré sa femme alors qu’il était en France. Comme deux de ses frères et sa sœur, Sassi a eu un mariage « arrangé » ; ce sont ses parents qui lui ont trouvé sa promise. Seul un de ses frères a choisi son épouse qu’il a connu à l’école. Mais Sassi me dit que ça ne le dérangeait pas, car lui et sa femme étaient d’accord pour ce mariage après avoir échangé. Sassi avait alors 27 ans. Avec sa fiancée, ils ont échangé des photos, puis échangé par téléphone. Ils se plaisaient. Ils étaient d’accord.
Alors, sans s’être jamais rencontrés physiquement, leur mariage a pu être organisé, en Inde (car Sassi, de par son statut de réfugié, ne pouvait pas retourner au Sri Lanka, où il n’a le droit de retourner que depuis 5 ans). Sassi se marie, puis retourne en France, seul, en attendant que son épouse puisse avoir les papiers pour le rejoindre.
Mais Sassi, qui ne s’était pas vacciné, a contracté la tuberculose en Inde. Il tombe gravement malade, pendant 6 mois environ. Sassi ne peut plus travailler, ne peut plus payer son loyer. Il doit déménager.
Par chance, il se rétablit, et une amie Sri Lankaise partie vivre en Angleterre lui loue un pavillon à Bondy. Puis il obtient enfin les papiers pour son épouse qui peut venir le rejoindre.
Mais le loyer est trop élevé pour Sassi (1.100 € alors qu’il ne gagne que 1.500 € par mois). Il fait une demande de HLM et finit par déménager il y a quatre ans à Blanqui, rue Martin Luther King.
Depuis trois ans, Sassi travaille dans un restaurant parisien branché du 7ème arrondissement.
Il a trois enfants de 5 ans, 10 ans et 14 ans. Sassi et son épouse se sont fait des amis dans le quartier, et parmi les parents des autres élèves de l’école de leurs enfants.
Sassi et son épouse ont également inscrit leurs enfants dans une école tamoule à Villemonble. Ils y vont tous les week-end pour apprendre le Tamoul. Ils y pratiquent également des activités extra-scolaires (tennis, karaté, art plastiques) et des fêtes y sont parfois organisées.
Il est important pour Sassi et son épouse que leurs enfants sachent parler le Tamoul, comme héritage culturel, mais avant tout pour pouvoir communiquer avec leur famille restée au Sri Lanka.
Lorsque je demande à Sassi s’il veut aussi arranger un mariage pour ses enfants, il me répond que non. Pour lui c’était normal, il est né au Sri Lanka et ces traditions lui étaient naturelles. Mais ses enfants ont été élevés dans les deux cultures, Française et Sri Lankaise, et ce sera à eux de choisir.
Leur apprendre le Sri Lankais, c’est leur permettre de connaître leur culture Sri lankaise, c’est transmettre leurs racines. Cela leur permet de communiquer avec la famille, et aussi de savoir, et de choisir.
Une partie de la famille de Sassi ayant émigré en Angleterre et au Canada, Sassi et son épouse veillent à ce que leurs enfants puissent également communiquer avec eux. Leurs enfants prennent donc également des cours d’anglais tous les mercredis et les week-ends, qu’un cousin de Sassi leur donne gratuitement.
J’ai enfin demandé à Sassi s’il pouvait me parler d’une personnalité marquante de son quartier. Il m’a parlé de son voisin. Il ne m’a pas donné son nom mais m’a dit qu’il était Marocain. Il parle avec tout le monde dans le quartier, il connaît tout le monde, et lorsque les parties communes de l’immeuble sont sales, il les nettoie, spontanément. Lorsque les ordures sont jetées n’importe où, il va les mettre dans le local à poubelle. Sassi me dit qu’il n’est pas rare que les résidents de l’immeuble nettoient eux-mêmes les couloirs ou l’ascenseur.
Je remercie Sassi pour le temps passé à ses confidences et pour sa gentillesse. Derrière son humilité, Sassi est un grand homme, d’ouverture et de tolérance.