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Une belle rencontre inter-générationnelle

Une belle rencontre inter-générationnelle

Samedi 09 juin 2018, il est 15H30 : nous sommes à la Miroiterie pour notre première permanence du samedi. Café : chaud, thé à la menthe : infusé, micros : branchés ; nous sommes prêts à recevoir les habitants pour entamer le travail de mémoire.

15H31 :arrive une petite dame délicieuse, aux jolis cheveux bouclés blancs-gris. Elle avance d’un pas alerte, traînant derrière elle son caddie à commissions. C’est Ginette. Ginette a 83 ans. Elle est née à Bondy et y a vécu toute sa vie. Elle a reçu le tract de la Mairie informant les habitants de BLANQUI du travail de mémoire du Collectif Miroiterie et est venue immédiatement nous livrer ses souvenirs.

Nous accueillons Ginette, lui servons un thé à la menthe et lui exposons un peu plus notre projet.

15H35:cinq petits garçons de CM2 passent la grille de la Miroiterie, attirés, semble-t-il, par la petite animation que nous commençons à créer. Nous les accueillons, leur proposons aussi un thé et des gâteaux, qu’ils reçoivent timidement en s’asseyant avec nous. Ginette ne manque pas de les reprendre en leur rappelant qu’il faut dire merci… ils s’exécutent ! Un joli début de rencontre…

Et là, nous expliquons aux enfants que nous allons enregistrer l’interview de Ginette et qu’ils ne doivent pas faire de bruit. Ils sont d’accord. Ils sont prêts à écouter, nous aussi… c’est parti…

Ginette débute son récit :

« J’habite à Bondy et je suis née à Bondy, en 1935, donc j’ai connu Bondy en tant que campagne. J’allais à l’école à Jules ferry. Nous traversions toute la rue Blanqui, justement, avec des petits jardinets, c’était très agréable. On n’imaginait pas que la ville serait devenue comme ça, bien sûr. »

Ginette nous dépeint alors Bondy encore rural, avec des jardins potagers à traverser pour aller à l’école Jules Ferry, des fermes, la ferme Caillard et surtout la ferme de la rue Saint Augustin (avec ses vaches et ses chevaux) où elle allait chercher le lait.

Puis vint la guerre.« Pendant la guerre, on a bien manqué de nourriture et lorsqu’il y avait des bombardements, nous allions aux abris, justement devant la petite placette Jules Ferry. », les abris où les familles du quartier venaient s’entasser la nuit, lorsque retentissaient les sirènes, munies de leurs papiers d’identité, de couvertures et des rares denrées alimentaires dont elles disposaient. Ginette nous parle d’un bombardement en 1944 où ils n’ont pas pu se cacher dans les abris et sont restés avec ses parents dans la cave de leur pavillon, à trembler jusqu’à ce que le vacarme cesse. Puis des images, qui resteront gravées dans sa mémoire à tout jamais : après les bombardements de 1944, sa mère les avait emmenés dans le quartier de la Poste à Noisy, qui venait d’être bombardé, pour voir les dégâts. « C’était vraiment affreux.. affreux.. un souvenir d’enfant, j’avais 9 ans.. y’avait la cervelle d’un aviateur qui était sur une maison et… ça marque, c’est sûr… ça marque. »

Son père était gardien de la paix, et sa mère, mère au foyer, avait perdu 20 kilos pendant la guerre. Elle faisait des ménages pour subvenir aux besoins alimentaires de la famille.

Ils étaient 4 enfants. Son frère aîné (âgé de 14 ans de plus qu’elle) s’était engagé grâce à son père dans les FFI et était parti pour l’Algérie en passant par l’Espagne vers 1941 ou 1942. Il s’était marié en Algérie, avait eu une petite fille et était revenu sur l’Allemagne avec le Maréchal de Lattre de Tassigny « et pendant tout ce temps là, nous n’avions absolument aucune nouvelle »...

Puis Ginette se souvient des Américains arrivés après le Débarquement. Ils étaient dans le quartier de la Sablière et donnaient du chocolat et des chewing-gum aux enfants.

Ginette grandit. Elle obtient son « certif » en 1949, puis elle contracte la typhoïde lors d’un voyage dans le Cher. Elle sera sauvée grâce à la pénicilline. Elle obtient ensuite son diplôme d’aide comptable, métier qu’elle exercera toute sa vie. Elle est bien sûr à présent retraitée.

Elle nous parle de son mari, qu’elle a épousé en 1958, qui était chauffeur de taxi, décédé en août l’année dernière. Ils ont eu deux enfants nés rue Roger Salengro chez le docteur Quinquénel. Elle nous parle de sa fille Sylvie… sa gorge se serre… Sylvie était passionnée de danse et de mode. Elle faisait de la couture et avait été mannequin en Allemagne, puis danseuse au Moulin Rouge, à l’Alcazar, puis chauffeur de taxi, comme son papa. Mais Sylvie a disparu… trop vite… « malheureusement elle est partie en 2006 d’un cancer du sein ». Ginette nous parle aussitôt de son fils, Jean-Guy, chauffeur de taxi aussi, devenu fleuriste à Noisy-le-Grand, qui viendra bientôt s’installer chez Ginette à Bondy avec sa femme et sa fille de 20 ans, Emilie.

Elle évoque rapidement tous les changements qu’elle a vu à Bondy « Le quartier  était autrefois tranquille, sans problème y’avait pas tous les pétards qu’on entend en ce moment ! Parce c’est vraiment très désagréable, très désagréable… je vous dis ça parce que j’ai une chienne et elle en est effrayée » …Il semblerait que Ginette ait eu envie de faire passer un petit message aux quatre jeunes garçons, qui écoutent son récit sagement et très attentivement… Ginette nous dit qu’il y avait une décharge là où est aujourd’hui la grande tour de BLANQUI, mais aussi un cinéma, Le Cursal, à l’angle de la rue Roger Salengro et de la rue Auguste Blanqui. Il y avait une très grande entreprise. Il y avait les Ateliers de Bondy qui drainaient beaucoup d’artisans et de commerces aux alentours. Face aux ateliers, il y avait des cafés et des épiceries, notamment l’épicerie de Raymonde dont Ginette se souvient bien.  Il y avait les bals du 14 juillet qui se tenaient devant le cinéma le Cursal.

Ginette achève son récit et son thé à la menthe. Nous la remercions chaleureusement. Elle dit au-revoir aux enfants, qui lui répondent. Et elle les reprend encore, gentiment mais fermement: On ne dit pas “au revoir” mais “au revoir, Madame“. Ils s’exécutent une fois encore et lui répondent « Au revoir, Madame ».

Ginette part, un peu émue par tous ses souvenirs qu’elle a fait rejaillir du passé, traînant son petit caddie derrière elle.

Les quatre petits garçons sont restés et ont attentivement écouté son récit. Eux aussi vont à l’école à Jules Ferry, comme Ginette. Nous avons discuté, un peu du projet de mémoire du quartier. D’histoire aussi, à quoi sert l’histoire. L’un faisait son intéressant, il crânait devant les autres et lançait d’un ton un tantinet provocateur que l’histoire ça ne sert à rien. Bien sûr, ses camarades ont répliqué et nous avons discuté ensemble, de l’histoire, de son importance, de l’indispensabilité de l’étudier, de savoir. Ils étaient tous étonnants. Très vifs! Nous avons parlé de de la lutte de Luther King contre l’apartheid aux Etats-Unis. Ils ont fait des liens avec leur programme d’Histoire du XXème siècle qu’ils étudient en CM2. Et nous avons parlé de qui était Martin Luther King. Nous leur avons lu un extrait de son discours “J’ai fait un rêve”.Ils ne savaient pas qui était Luther King, alors que l’un d’eux habite rue Luther King. Il pensait “que c’était un blanc”.Nous avons aussi parlé un peu d’Auguste Blanqui. Nous avons parlé des rêves, de l’importance d’avoir des rêves et des utopies, comme Martin Luther King en a eu.

Puis nous les avons interviewés. L’un habite rue Henri Alpy « c’est la ligne droite ». L’autre dans un des bâtiments de Martin Luther King.

L’endroit qu’ils préfèrent dans la quartier :

Pour l’un, c’est « le parc de bourrés, parce que c’est calme. Y’a des arbres et tout, c’est joli. »Mais un autre lance en rigolant qu’il y a aussi « des cannettes, des bouteilles de bières, de la bière, tu vois tout ce qu’il faut pas pour la santé ! »

Pour celui-là même, son endroit préféré, c’est le parc derrière chez lui, à Luther King.« Il n’y a plus de jeux là-bas, mais comme ils ont tout enlevé, on peut faire des pétards tranquillement là-bas ». Mais son loisir favori, c’est faire des balades en vélo avec les copains, sur le Canal, ou à Noisy, dans un parc« dans une grande forêt bizarre » où il y a des pentes qu’ils prennent en vélo.

Qu’est-ce qui représente le quartier Blanqui pour vous ? « Ben en ce moment c’est la drogue ».

Pour l’autre, c’est le bâtiment où il vit à Luther King.« Dans mon bâtiment y’a des trafics de drogue. »

Ce qu’ils préfèrent,c’est les barbecues de quartier.

L’un parle des barbecues gratuits du samedi pendant l’été, que les jeunes du quartier organisent. Il y a des structures gonflables pour jouer.

Un autre dit qu’il organise lui-même des barbecues avec ses amis au « Parc des bourrés »,« sans musique, au calme », où ils mangent des merguez avec des copains de leur âge, entre 11 et 13 ans.

Tu veux rester vivre ici quand tu seras grand ?« Ben oui ».

Tu t’y sens bien ?« Oui »

Quel a été pour toi un évènement marquant dans le quartier ? « La fusillade. Y’a eu une grande fusillade. On a entendu, on était à côté. On était juste à côté et on est rentré chez nous parce que c’était dangereux. »

Tu as parlé de l’explosion d’une voiture « Ça c’est pas nouveau, on voit tout le temps des voitures qui brûlent ici ».

Un autre raconte que, pour lui, l’événement marquant « c’est quand la police a arrêté tous les jeunes. Ils étaient tous alignés sur le grillage. Ils ont fait… comment on appelle ça ?.. une descente ! C’était des jeunes du quartier, j’en connaissais quelques uns, mais je ne sais pas ce qu’il s’est passé après. »

Les jeunes dans le quartier ils s’entendent tous bien ? « oui, ils s’entendent bien.

Et vous vous connaissez tous ? Ceux qui se font arrêter par la police, vous les connaissez aussi ?

« Ceux qui font de la moto et qui se font arrêter, la plupart, je les connais. »

« La police, si elle vient, et comme par hasard y’a un trafic de drogue, ils crient « ouais ça passe ! » et après tout le monde court « fionnnnn ! » comme des flèches ! »

Et vous, parfois vous faites le guetteur ? L’un répond pour l’autre, qui lui dit en rigolant : « oh la balance ! toi aussi tu le fais »

Et vous vous faites payer pour ça ? « Non, rien, niet. Mais moi je crie « ça passe » que quand c’est des policiers que j’aime pas.

Et pourquoi y’a des policiers que tu n’aimes pas ?Parce que la dernière fois, ils m’ont amené au poste pour rien. Juste parce qu’ils disaient que j’avais cassé une moto, alors que c’était pas moi. »

Puis, une maman, inquiète, est passée chercher un des enfants qui ne répondait pas à son téléphone. Puis le bus est passé, et s’est arrêté devant la Miroiterie. Les trois autres sont partis en courant pour l’attraper, à peine le temps de dire au revoir. Une fois qu’ils ont sauté dans le bus, ils nous ont lancé « Au revoir ! » avec un sourire, nous faisant un signe de la main.

C’était une bien jolie rencontre…